Lieu de rencontres, de fraternité et d’échanges, les salons du livre maçonnique sont toujours d’heureuses parenthèses permettant de « rassembler ce qui est épars ». Dans cet idéal d’harmonie, le salon de Lyon a répondu parfaitement à cet idéal.
L’objet de notre réflexion, accompagné d’un sourire un peu malicieux, pourrait nous faire songer aux discussions pédagogiques au sein de la Troisième République, dans un temps où les maîtres d’écoles (nombreux en Franc-Maçonnerie!) s’interrogeaient et militaient sur le but de l’enseignement, ses orientations et son aboutissement dans l’épanouissement d’un homme, avant tout, citoyen.
L’époque ne reflète plus les mêmes attentes : désormais l’épanouissement personnel importe plus que le destin collectif. Cela se traduit par un déclin de la vie associative, de l’attirance vers des spiritualités unificatrices, des engagements politiques ou syndicaux. « Les lendemains qui chantent » ne déclenchent plus guère d’enthousiasme !
Mais dans le fond, est-ce un mal ? Qu’attendre d’un collectif, souvent factice et réducteur, permettant de se dissimuler dans des discours d’une éthique qui sent le toc et de la recommandation d’une philosophie pseudo-humaniste qui dissimule à peine le fonds de commerce de ceux qui en profitent. Las de cette théâtralité qui sent la pièce de patronage, le sujet désire se tourner vers une dimension authentique qui peut lui faire découvrir ce qui l’intéresse le plus : lui-même ! C’est là où se situe la rencontre possible entre le « cherchant » et la Franc-Maçonnerie. Immédiatement, deux éléments vont se trouver en confrontations : la place de celui qui transmet et celle de ce que nous pourrions appeler la conversion.
La Franc-Maçonnerie est apophatique, elle est comme disent les hindouistes « netti-netti », « ni ceci , ni cela » : elle n’est ni un catéchisme, ni une religion de remplacement, ni la « Vérité », ni un vague club politique ou ni un club d’affairistes. Elle pourrait se définir comme l’unité qui serait composée par une diversité qui, ne renonçant pas à ses différences, les cultivent pour les mettent au service de l’ensemble. L’envers de la démarche idéologique. Cela pose d’emblée la question de la fonction de l’Institution dans son rôle de transmettre et surtout du rôle de ceux qui en sont chargés.
Dans chaque culture s’est toujours posé la question de la justification de la transmission et d’un savoir éventuel. Ainsi, en Chine, Lao Tseu, le grand penseur taoïste écrit :
« C’est pourquoi le sage adopte
La tactique du non-agir
Et pratique l’enseignement sans parole
Tous les êtres du monde surgissent
Sans qu’il en soit l’auteur
Il produit sans s’approprier
Il agit sans rien attendre
Son œuvre accomplie il ne s’y attache pas
Puisqu’il ne s’y attache pas
Son œuvre ne passera pas ».
La littérature et la philosophie occidentale ne sont pas en reste. Par exemple, Pascal Quignard débute l’un de ses ouvrages par cette phrase : « J’aurai passé ma vie à chercher des mots qui me faisaient défaut » et, le philosophe Ludwig Wittgenstein, enseignant lui-même, attire notre attention sur la prétention du savoir. Il écrit, dans son célèbre « Tractatus logico philosophicus » : « Ce dont on ne peut parler il faut le taire ».
La Franc-Maçonnerie est avant tout une maïeutique, une accoucheuse de personnalités. Dans ce sens elle est socratique et pointe, au-delà des différences, à donner naissance à des richesses intérieures cachées grâce à la tolérance, au libre-arbitre, à une parole, à des traditions, et à des rituels non contraignants qui ne ressemblent en rien à un catéchisme mais à une sorte de musicalité dans laquelle on peut jouer de son instrument personnel pour participer à une harmonie commune.
La diversité dans l’unité, mais plus encore prendre conscience qu’il ne peut y avoir d’unité sans prendre soin de conserver jalousement la diversité ! Transmettre, c’est interpréter une œuvre commune avec des instruments différents. Dans le « Ménon » le bon vieux Socrate (dont la mère était sage-femme!), démontre qu’un esclave illettré peut résoudre par lui-même un très complexe problème géométrique montrant ainsi que la vérité des choses est en nous et non à l’extérieur.
Le Maçon est dans la dynamique permanente d’une conversion au sens hébraïque du terme « Techouva » qui signifie « retour sur soi », « introspection ». Pas question de suivre quelqu’un ou quelque chose qui n’est pas moi. Le monde extérieur, l’interpellation de l’autre, n’étant qu’une invitation au voyage intérieur. « Je me voyage » La plus belle illustration étant Ulysse qui, las de ses aventures, n’aspire qu’à retrouver son monde intérieur. « Il n’y a pas d’Ithaque hors d’Ithaque » conclue Homère à l’Odyssée.
Se pose bien entendu le but de la demande d’entrée en Maçonnerie : que vient chercher un profane qui frappe à la porte du temple ? Nous pourrions avancer l’idée que, dans un type de projection parentale, il quête un savoir. Mais, il s’aperçoit qu’à cette demande de savoir il répond lui-même au fil des travaux et relativise ainsi ceux de qui il espérait la révélation d’un pouvoir ésotérique qui le transformerait ! C’est de l’intérieur que le savoir se manifeste. Dès lors, le rôle du « gourou » supposé s’estompe : il n’est qu’un autre qui a modifié l’image négative, incomplète, que je me faisais de moi-même. Transmettre, c’est montrer à l’autre que nous sommes « inter pares ». Le prix de ce savoir est la solitude car celui qui ne croit plus ni au père ni au maître ne trouve plus refuge derrière une image protectrice, ce qui crée sa propre dignité. Le maître imaginaire disparaît, seul le frère subsiste, partageant avec nous la vacuité de l’être. Transmettre, c’est parler à l’autre de cette vacuité commune. Le « transmetteur » n’est qu’un passeur. Vers quoi ? Pour y répondre, laissons la parole au psychanalyste Otto Rank qui écrit : « L’important, c’est que tout ce qui est créateur, quel que soit son genre de manifestation -même la névrose- est dû à cette aspiration personnelle de se libérer du code moral traditionnel et de puiser en lui-même son idéal éthique personnel qui, en plus des normes qu’il lui fixera, lui donnera l’assurance de pouvoir créer et d’être heureux. Ce processus de formation d’idéal personnel, qui commence par l’établissement de règles morales intimes, est une grandiose tentative pour transmuter la contrainte en liberté »
Celui qui transmet ne fait qu’éveiller l’autre à un destin commun à travers ses propres mots enfin retrouvés. Il le délivre de l’angoisse de l’innommé. Puis, discrètement, avec ses mots à lui, il s’en retourne à une solitude qui est une liberté enfin acceptée, mais qu’il partage avec ses Frères en humanité.
Par Michel Baron