La peinture, un rempart au désespoir ?

« Toute destinée est une suite d’accidents à retardement avec le coup de grâce au bout », Henri Fauconnier. L’art assure-t-il un barrage entre le besoin de création et le tourment d’exister ? Deux expositions parisiennes ont attiré des foules : celle de Nicolas de Staël au Musée d’Art Moderne de Paris et celle de Mark Rothko à la fondation Louis-Vuitton. Étrange parallélisme : tous les deux se sont suicidés, alors qu’ils étaient célèbres, comme si la gloire et l’argent ne constituaient pas un obstacle suffisant à stopper le désespoir et la fascination du vide.

Étrange ressemblance

Stéphane Lambert, écrivain belge, va véritablement s’assimiler à De Staël pour tenter de comprendre ce qui peut être inéluctable chez un sujet, quoi qu’il mette en œuvre pour faire barrage à son auto-apocalypse. L’auteur, étrangement ressemblant physiquement au peintre, est hanté par le suicide. Ses romans ou biographies en sont la traduction : l’apocalypse heureuse, Mark Rothko, Vincent Van Gogh. Étrange galerie de personnages happés par ce qui devient le « mal de vivre » de la chanson de Barbara.

L’auteur, véritable double de Nicolas de Staël, va parcourir en deux temps, la faille constitutive de la création et de la vie fulgurante du peintre, sa fièvre visionnaire et sa gigantesque solitude qui donnent à l’œuvre son mystère et à l’artiste sa tragique fragilité. Comparant Rothko et de Staël, il écrit :

« Là ou Staël se libérait de son bouillonnement intérieur par une profusion de créations et une nervosité, une brusquerie assumée, dans son rapport à la toile, Rothko intériorisait sa tension et se réfugiait dans sa retenue. Et toute création qui tienne est le fruit de l’équilibre trouvé entre la foi et le vertige ».

La foi en soi-même

Mais qu’advient-il quand on perd la foi en soi-même, quand le sol se dérobe sous les pas ? L’œuvre n’est plus du domaine artistique mais devient un investissement total, une accroche toujours insuffisante qui va au-delà de toute représentation où s’y brûle tant d’extrémités, tant d’hors-champ que l’on atteint quelque chose de l’ordre de la transcendance ou de l’ « art brut ». D’où les nombreux visiteurs qui viennent se perdre dans les couleurs qui sont une sorte de pèlerinage, où Saint-Jean de Compostelle n’apparaît jamais, faute de foi. Ne reste que les bas-côtés ou l’artiste tente de se cramponner vainement.

« Plus on devient soi, plus on devient seul et se fait jour la réalité atroce qu’on ne peut plus rien partager avec les autres. »


En parlant d’art, une question se pose aux Francs-Maçons : l’« Art Royal » nous sauve-t-il ?

+ d’infos

Nicolas de Staël : le vertige et la foi.
Écrit par Stéphane Lambert.
Éditions Arléa. 2015 (180 pages).

Par Michel Baron