« Toute vérité naît d’une erreur et toute parure de style naît des images du rêve, absurdes quand elles naissent et dont il faut pourtant tresser la poésie. Avec quoi ferai-je ma sagesse, sinon avec ma folie redressée ? »
Alain, « Propos d’un Normand »
Si nous ne parvenons pas toujours à distinguer clairement les contours et le contenu de la fraternité, du moins pouvons nous mesurer, peu ou prou, ce qui se produit lorsqu’on l’efface du fronton des mairies.
Composante essentielle du triangle républicain, la fraternité est plus souvent mise en exergue à travers ses dimensions philosophiques, sociales et politiques que dans l’univers juridique.
Selon certains, la fraternité ne serait ainsi qu’un sentiment[1], et non un droit, et la décréter reviendrait à l’anéantir[2].
Il doit donc être relevé que, dans une décision du 6 juillet 2018, le Conseil Constitutionnel a affirmé que la fraternité était un principe à la fois juridique et constitutionnel.
Soudain, la fraternité ne serait plus seulement une incantation ou l’écho des mots de Sénèque rappelant à ses contemporains que « celui que tu appelles esclave est né de la même semence que toi, il jouit du même ciel, respire le même air, vit et meurt comme toi ».
La lutte contre le destin et contre la condition humaine, symbolisée par la « fraternité sans visage » du don du cyanure de Katow dans le roman éponyme d’André Malraux, se verrait ainsi gratifiée d’une norme juridique susceptible d’être invoquée devant les juridictions.
Ouvrant le champ des possibles, le Conseil Constitutionnel a même esquissé une ébauche de contenu du principe de fraternité, entendu comme « la liberté d’aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national ».
Comme effrayés par leur audace, les Sages de la rue de Montpensier ajoutent prudemment que le principe de fraternité doit toutefois « se concilier avec l’objectif de lutte contre l’immigration irrégulière ».
Tel est, au fond, la puissance de l’Etat de droit : il appartient à chacune et à chacun de déterminer les combats qui sont justes.
La lumière du midi projette plusieurs ombres.
En cette période estivale où les tragédies ne prennent pas de vacances, comme à Gênes, un voyage ou même une simple respiration décèlent d’immenses paysages et permettent parfois de dissoudre les habitudes.
Temps de respiration qui nous conforte dans l’idée que le fond de notre nature profonde n’est pas de calculer et de prévoir, mais de s’abandonner à la générosité, l’oubli de soi et la joie de se consumer en produisant, tout en se gardant d’approcher trop près des volcans, sous peine de connaître le destin d’Empédocle ou de Pline l’Ancien.
Dans sa langueur douce-amère, l’été poursuit paradoxalement la continuelle préparation d’un parcours initiatique qui forge notre caractère à la pointe du burin.
Et de songer à la question posée à Wilhelm Meister sous la plume de Goethe :
« Connais-tu la contrée où les citronniers fleurissent ? Dans le sombre feuillage brillent les pommes d’or ; un doux vent souffle du ciel bleu ; le myrte discret s’élève auprès du superbe laurier…. La connais-tu ? »
Edouard HABRANT
15 août 2018
[1] J. Vacherot, « La démocratie »
[2] F. Bastiat, « Justice et fraternité »