Edito de février 2020

 

« Il y a tant de vagues et de fumée

Qu’on arrive plus à distinguer

Le blanc du noir

Et l’énergie du désespoir

Le téléphone pourra sonner

Il n’y aura plus d’abonné

Et plus d’idée

Que le silence pour respirer

Recommencer

Là où le monde a commencé »

Michel Berger

« Le Paradis blanc »

Si le ciel peut attendre, comme nous l’indique Lubitsch dans son film éponyme, le monde, lui, n’attend pas.

Le monde n’attend pas notre entrée en scène, n’en déplaise à Shakespeare[1]. Nous y sommes immédiatement, puis sans véritable répit, projetés, secoués, transportés, ballottés sans être toujours en mesure d’y voir une raison apparente.

De la fugacité même des choses : ce que nous allions pardonner, nous découvrons un jour que c’est oublié.

Et pourtant, nous n’aurons de cesse, toute notre vie durant, de chercher à donner un sens à nos actes, sans quoi toute réflexion sur l’étique et la morale est vouée à demeurer une chimère.

Lorsque l’on y songe série Nos choix et nos actes découleront probablement davantage de ce tissu que de notre jugement.

Le risque est donc élevé, si l’on n’y prend pas garde, de se laisser porter par la rumeur et le bruissement de tout ce qui nous entoure, particulièrement dans notre société dite « numérique ».

Le Covid-19, abréviation de la Maladie à coronavirus 2019, s’ajoute – avec son cortège d’angoisses et parfois de panique – à des virus de tous ordres qui prolifèrent dans nos sociétés : virus informatiques, diffusions « virales » de vidéos, virus des mots et des idéologies…

Dans un monde « connecté », nous mesurons chaque jour que les calamités locales provoquent des cataclysmes à l’échelle planétaire et que notre dépendance mutuelle doit nous conduire à repenser notre relation à autrui.

La vision de zones urbaines regroupant des dizaines de milliers de personnes confinés derrière des barrages et des cordons gardés par des soldats prêts à tirer pose question, y compris sur le strict plan de l’efficacité en termes de santé publique.

Le virus de la peur se répand encore plus vite que le Covid-19 et la suspicion progresse au point de suggérer des images que nous pensions reléguées dans l’histoire médiévale.

Dans une démocratie, toute crise sanitaire doit induire transparence et solidarité. En France, cette crise risque de confirmer que l’hôpital public est à bout de souffle.

Plus largement, et sur l’ensemble de la planète, Covid-19 nous enseigne que notre destin est largement commun et que si l’humanité ne veut pas arriver démunie devant l’expérience, elle doit aussi revisiter les Humanités.

Et les tours d’ivoire tomberont alors comme tombent les lieux communs.

Edouard Habrant

29 février 2020

[1] “All the world’s a stage, And all the men and women merely players; They have their exits and their entrances; And one man in his time plays many parts, His acts being seven ages” (“As You Like It”)