Cette nouvelle année qui vieillit notre amitié…

« J’ai ancré l’espérance
Aux racines de la vie
Face aux ténèbres
J’ai dressé des clartés
Planté des flambeaux
A la lisière des nuits
Des clartés qui persistent
Des flambeaux qui se glissent
Entre ombres et barbaries
Des clartés qui renaissent
Des flambeaux qui se dressent
Sans jamais dépérir
J’enracine l’espérance
Dans le terreau du cœur
J’adopte toute l’espérance
En son esprit frondeur. »

Andrée Chedid

Tel Victor Hugo s’adressant à Alfred de Vigny en saluant « cette nouvelle année qui vieillit notre amitié sans vieillir notre cœur », nous devons certainement nous réjouir de ce moment particulier de partage qui nous invite à consolider nos liens et à se souvenir de l’avenir, comme l’écrit le Poète.

N’est-ce pas aussi l’occasion de nous rappeler que ce qui fait notre humanité, pour le meilleur – le partage, l’empathie, l’entraide – et pour le pire – la jalousie, la rivalité mimétique – c’est cette aptitude à voir le monde, incluant soi-même, à travers les yeux des autres ?

La célébration de la nouvelle année pourrait ainsi être vue comme l’une des expressions des liens qui nous unissent, par-delà les frontières, les nationalités, les coutumes, les opinions, ou autres croyances.

Cependant, le rapport à autrui se double d’un serment renouvelé à l’égard de soi-même, celui de rectifier nos erreurs qui, si nous n’y prêtons pas garde, peuvent devenir le commencement d’une faute, même si nos fautes périssent souvent avant nous.

L’accroissement de nous-même, le progrès de la conscience, l’émancipation, ne trouveront pas leur source en dehors, dans l’opinion d’autrui, mais en nous, et frotter la lampe d’Aladin ne saurait suffire, tant la pensée n’est pas une position de repos, ni de repli, mais un effort exigeant et constant.

Les tensions et menaces qui pèsent sur nos sociétés nous invitent ardemment à une « quête solidaire du sens de l’avenir », selon l’expression de Ghaleb Bencheikh, afin de renouer avec une destinée collective, sans recourir aux pythies et sibylles, étant d’ailleurs rappelé que les véritables oracles n’étaient compris de personne et ne se comprenaient probablement pas eux-mêmes.

Il n’est cependant pas nécessaire de consulter l’oracle delphien pour mesurer combien l’année à venir sera déterminante pour défendre une société ouverte, non pas désireuse d’imposer un mode de vie unique, mais de laisser chacune et chacun aussi libre que possible de choisir ses propres buts et ses propres finalités.

N’est-ce pas le propre de la République que de garantir le sentiment du droit d’autrui, le respect de la loi et le dévouement au bien commun ?

Malgré trois siècles de distance, le discours du Chevalier de Ramsay appelant à la République universelle résonne face aux défis de l’époque, qui mettent à l’épreuve l’humanisme, le climat et l’économie, laquelle s’éloigne du « doux commerce » préservant les êtres humains de la guerre et de la violence, comme l’espérait Montesquieu.

L’universalisme ne saurait consister à imposer de valeur universelle, sauf à échouer dans la construction d’un avenir désirable.

L’universalisme est précisément ce principe de liberté et d’émancipation qui, en chaque femme et en chaque homme, rend possible l’émergence de valeurs et le pouvoir de se singulariser.

Se singulariser en se réinventant, ainsi que nous y invite Jiddu Krishnamurti :
« Hier, il a plu lourdement et maintenant les cieux commencent à s’éclaircir : nous voici au seuil d’une journée toute neuve. Abordons-la comme si elle était la seule journée. Mettons-nous en route tous ensemble en laissant derrière nous les souvenirs des jours passés et commençons à nous comprendre pour la première fois. »

Belle année à toutes et à tous.

Edouard Habrant, le 2 janvier 2019.