Ah, tu verras, tu verras
Tout recommencera, tu verras, tu verras
Mozart est fait pour ça, tu verras, entendras
Tu verras notre enfant étoilé de sueur
S’endormir gentiment à l’ombre de ses sœurs
Et revenir vers nous scintillant de vigueur
Tu verras mon ami dans les os de mes bras
Craquer du fin bonheur de se sentir aidé
Tu me verras, chérie, allumer des clartés
Et tu verras tous ceux qu’on croyait décédés
Reprendre souffle et vie dans la chair de ma voix
Jusqu’à la fin des mondes
Claude Nougaro, « Tu verras »
Les débats et réflexions qui accompagnent l’examen du projet de loi bioéthique présenté depuis le mois de juillet sont riches de nombreux enseignements et porteurs d’interrogations.
L’adoption d’une mesure phare, en l’occurrence l’assistance médicale à la procréation pour toutes les femmes, ne doit pas masquer d’autres défis majeurs auxquels une révision des lois bioéthique (la troisième en 25 ans, après 2004 et 2011) se trouve confrontée.
A titre d’illustration, les précisions en matière de traitements algorithmiques de données massives (article 11 du projet) sont attendues avec impatience, au regard des enjeux ayant trait à la recherche de nouvelles connaissances au bénéfice de la santé de tous, au contrôle et à la maîtrise des richesses que constituent ces données, au respect des libertés et à la définition des responsabilités, notamment.
La loi n’en est évidemment qu’au stade de l’ébauche, mais il est à craindre qu’elle ne prenne pas suffisamment en compte la célèbre formule de Lessing, « Code is the Law » (le code, c’est la loi), selon laquelle c’est l’infrastructure technique qui définit les usages (et non la volonté humaine, en l’occurrence la loi votée par le Parlement).
La France n’est pas une île.
C’est un archipel, en revanche, nous indique Jérôme Fourquet dans son ouvrage éponyme, esquissant le tableau d’une fragmentation de la société française sans précédent.
Ainsi l’analyse du sociologue recoupe ou illustre la pensée de philosophes, tels Mark Hunyadi, analysant un système global – transcendant le territoire français – qui se reproduit par fragmentation.
Notre défi, ici et maintenant, consiste donc à réintroduire en permanence la pensée pour construire du commun et rappeler que la vie n’est pas la lutte de chacun contre tous.
On ne conquiert pas l’autonomie en rompant des liens gênants avec nos semblables.
La route que l’on emprunte, le pont que l’on traverse, le toit qui nous abrite, tout a été fait par d’autres, pour nous.
Tout cela nous laisse voir que la loi géniale de la vie est celle de l’union, de l’association et de la solidarité.
La seule véritable lutte, au fond, est celle contre les pensées qui nous enchaînent, au profit de celles qui nous libèrent. Le défi demeure donc celui de l’altérité, celui de ne pas suivre la pente de nos inclinations, en particulier dans des espaces régis par des algorithmes qui ne nous proposent que des choix conformes à nos goûts.
La pente des passions individuelles qui nous gouverne ne peut être compensée qu’au prix d’un long détour mobilisant à la fois le cœur et la raison.
A défaut, nous serions individuellement condamnés à revivre un passé sans épaisseur tout en se résignant à un futur sans horizon.
C’est sans doute pourquoi les francs-maçons, parmi d’autres, sont convaincus qu’il n’y a, au fond, rien de plus libre qu’un serment, car c’est ce qui nous permet d’aimer au-delà du désir, selon la belle formule d’Alain.
Edouard Habrant
Paris, le 4 octobre 2019