« J’veux traverser des océans
Et devenir Monte-Cristo
Au clair de lune
M’échapper de la citadelle
J’veux devenir roi des marécages
Me sortir de ma cage
Un père Noël pour Cendrillon
Sans escarpin
J’veux du soleil »
Au p’tit bonheur – « J’veux du soleil »
Dans les années 60, Elisabeth Kübler-Ross a théorisé cinq phases du deuil, qui seraient traversées par celles et ceux qui perdent un être cher ou sont confrontés à une situation catastrophique : le déni, la colère, le marchandage, la dépression puis l’acceptation.
Ces réactions, auxquelles se mêlent la sidération, l’incompréhension et l’angoisse s’observent peut-être dans nos comportements individuels et collectifs face à cette séquence dystopique semblant surgie d’un mauvais film de science-fiction.
L’agitation et le bruit du quotidien ont cédé la place à un mutisme à peine rompu par les sirènes des ambulances et la rumeur des hélicoptères et des applaudissements de 20 heures.
Le silence du dehors contraste ainsi avec le bruit du dedans, le bruit des informations contradictoires et désordonnées, des vidéos, des réseaux sociaux, le bruit de la peur de perdre un proche, de ne pas pouvoir l’accompagner jusqu’au bout du voyage.
La solitude se heurte à la promiscuité, parfois au sein des mêmes établissements, à l’instar des EHPAD, terriblement exposés et frappés.
La pandémie du covid-19 met ainsi en exergue nos faiblesses et nos contingences, en nous confrontant à l’imprévisibilité du présent et du lendemain.
Mais cette crise sanitaire, et bientôt économique, peut et doit aussi être un moment de vérité, sur tous les plans, à condition de s’approprier toute la dimension politique de ce qui ressemble parfois à une forme de Tchernobyl sanitaire.
L’union sacrée, nécessaire, doit se doubler d’une confiance réciproque entre les citoyens et l’Etat, à un moment où les pouvoirs publics ont pu donner l’impression de se réfugier derrière l’avis des scientifiques (maintien du match de football Bergame-Valence en Italie, maintien du premier tour des municipales en France), sans être systématiquement d’une grande transparence sur les ressorts de certaines décisions, alors que, par définition, la science est publique.
En même temps que l’expression « corps social » reprend tout son sens en termes d’intégrité et d’immunité, le franc-maçon est appelé à s’élever à la hauteur de son idéal en inscrivant son engagement dans ce temps spécial, parcouru par des tensions entre une distance égoïste et des élans altruistes.
Dans un contexte où les précarités et les vulnérabilités de tous ordres sont exacerbées par les conséquences de cette crise sanitaire, l’humanisme et le secours à autrui sont des devoirs sacrés, qui revêtiront de nombreuses formes, allant de l’écoute fraternelle à l’héroïsme de celles et ceux qui sont engagés sur le front médical.
A côté de nos actions, les mots de Hannah Arendt doivent également résonner : « les hommes qui ne pensent pas sont comme des somnambules ».
Cette crise provoquera, à l’évidence, une grande secousse intellectuelle et idéologique, alimentant une réflexion dont la franc-maçonnerie ne pourra pas faire l’économie, en particulier pour développer de nouvelles formes d’activités centrées sur le commun.
L’économie, précisément, contient la violence, dans les deux sens du verbe « contenir », c’est-à-dire en nous en préservant tout en la relayant.
Si la mondialisation est probablement irréversible, le « doux commerce » cher à Montesquieu devra prendre en compte les répercussions mondiales des dangers locaux et réfléchir, notamment, sur la coordination entre production et distribution.
Le défi est colossal, et il implique du courage et de l’imagination pour mettre définitivement à distance les dogmes de tous ordres, mais aussi la xénophobie et la peur de l’autre, qui sont les pires des confinements et des huis-clos.
Plus d’un demi-siècle après sa mort, les mots de Martin Luther King sont d’une actualité confondante : « nous sommes peut-être venus sur des navires différents, mais maintenant, nous sommes dans le même bateau ».
Le besoin de réinventer le monde passe définitivement par le discernement et l’émergence d’une conscience commune, afin de sortir de la nuit.
Edouard HABRANT
30 mars 2020