« Dans les coulisses du premier dîner sur la bioéthique à l’Élysée »

Leaders religieux, militants pro-euthanasie… Ils ne se parlent jamais. Emmanuel Macron les a reçus pour parler de la fin de vie. Que se sont-ils donc dit ?

Source : http://www.lavie.fr/actualite/politique/dans-les-coulisses-du-premier-diner-sur-la-bioethique-a-l-elysee-14-02-2018-88059_813.php

« Échanger et encore échanger, pour éviter toute crispation. Pour mettre tout le monde dans sa poche, Emmanuel Macron met les petits plats dans les grands. Alors que se sont ouverts les débats tenus par le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) en vue de la révision des lois bioéthique, le chef de l’État a décidé d’organiser d’ici le mois de juin trois dîners à l’Élysée, autour des thématiques de la fin de vie, de la PMA et de l’intelligence artificielle. « Le Président a aussi besoin de nourrir sa réflexion personnelle », fait valoir un membre de son entourage. Hier soir, avait lieu la première rencontre autour de la fin de vie, un thème qui ne devait d’abord pas figurer au programme des États-Généraux de la bioéthique avant d’être finalement intégrée au débat à la demande du Château.

Leaders religieux, militants pro-euthanasie… Ils ne se parlent jamais. Emmanuel Macron les a assis autour de la même table. Les institutionnels : Jean-François Delfraissy, le président du CCNE, la ministre de la Santé Agnès Buzyn, qui réclame une évaluation de la loi Claeys-Léonetti avant toute avancée législative. Les représentants du monde médical : le président de la Société française des soins palliatifs Vincent Morel, ou Véronique Fournier, présidente du Centre national des soins palliatifs, adeptes de deux lignes opposées.

Comme le Président l’avait promis lors de ses vœux aux autorités religieuses, les cultes aussi ont eu leur place. Le président de la Fédération protestante de France François Clavairoly, le président du Conseil Français du culte musulman (CFCM) Ahmet Ogras, ainsi que le grand rabbin Haïm Korsia étaient présents. Pour l’Église catholique, c’est finalement Michel Aupetit qui a participé. L’archevêque de Paris remplaçait Georges Pontier, président de la conférence des évêques, initialement invité. En revanche, aucun représentant de la franc-maçonnerie n’avait été convié…
« Cela m’inquiète, assure Philippe Foussier, grand maître du Grand Orient de France. Les cultes sont en décalage avec les aspirations profondes de la société, il y a un risque de radicalisation du débat sur ces sujets sensibles, convier les cultes en priorité c’est prendre le risque d’un débat qui monte en tension. » Et de déplorer « une grande confusion entre le temporel et le spirituel, un retour à l’esprit concordataire. » Si Philippe Foussier n’a pas reçu de bristol, plusieurs convives partageant la même ligne étaient présents comme l’un de ses amis, le député LREM et président du groupe d’études sur la fin de vie à l’Assemblée Jean-Louis Touraine, franc-maçon assumé. Il était placé à côté du Président et choyé : Emmanuel Macron l’a immédiatement tutoyé et a échangé avec lui quelques clins d’œil complices. Assis à la gauche de la ministre Agnès Buzyn dînait le militant pro-euthanasie Jean-Luc Romero, président de l’association pour le droit à mourir dans la dignité.

Pas de front uni des religions
Les agapes auront duré presque trois heures. Après un mot d’introduction d’Agnès Buzyn et de Jean-François Delfraissy, chacun a pu exprimer son expérience professionnelle ou son point de vue sans brutalité ni acrimonie. Noëlle Châtelet, dont la présence avait été suggérée à Emmanuel Macron par Jean-Louis Touraine, a longuement témoigné sur le cas de sa mère qui avait choisi de se suicider. Présente aussi, Christiane Vienne, ministre wallonne de la santé de 2004 à 2007 fit part de son expérience sur l’aide active à mourir dans son pays. Vincent Morel a rappelé les différents cas de sédation d’un point de vue juridique. Pour sa part, François Clavairoly a insisté sur l’idée de « l’accompagnement jusqu’au bout, si le lien de confiance avec le corps médical est garanti » et sur le fait que « la responsabilité individuelle soit nécessairement associée à la responsabilité collective.»
Pourtant ce n’est pas l’archevêque de Paris mais le Grand rabbin de France qui a mis les pieds dans le tartare mi-cuit de langoustines aux agrumes, le filet de daurade au curry et la douceur citron praliné.

Michel Aupetit en est resté à son expérience de médecin, de ce qu’il a pu observer des soins palliatifs, insuffisamment développés, pour faire valoir le point de vue de l’Église catholique. Pourtant ce n’est pas l’archevêque de Paris mais le Grand rabbin de France qui a mis les pieds dans le tartare mi-cuit de langoustines aux agrumes, le filet de daurade au curry et la douceur citron praliné. Haïm Korsia est monté au créneau en rappelant son opposition totale à l’euthanasie : « Toute l’éthique médicale est basée sur le refus absolu de ce qui s’est passé dans les camps de la mort et plus particulièrement à Auschwitz. » En évoquant le code de Nüremberg, il a rappelé le contexte historique et les fondements qui sous-tendent l’appréciation de l’éthique médicale d’aujourd’hui. Et il n’a pas hésité à lâcher le mot « assassinat », feignant un lapsus, mais provoquant des remous indignés autour des verres de Corton grand cru 1999.
« Trois lignes se sont exprimées : ceux qui appellent à un renforcement des soins palliatifs, les inconditionnels de la responsabilité individuelle et ceux qui considèrent la vie comme sacrée », analyse François Clavairoly qui ajoute, réaliste : « Il n’y a pas de front uni entre les religions. »
Emmanuel Macron, accompagné de Marie Fontanel, sa conseillère santé, a pris des notes sur chaque intervention avant de faire une conclusion ouverte. Il s’est contenté de disserter sur l’oxymore « suicide assisté » sans révéler son point de vue personnel. « Il n’a pas tranché, croit savoir Jean-Louis Touraine. Il n’a pas encore une décision absolue sur ce sujet. » Emmanuel Macron a rappelé qu’il comptait sur les Etats-Généraux de la bioéthique pour que tous les points de vue puissent s’exprimer. En se levant de table, il a glissé à quelques-uns de ses hôtes qu’il reverrait les représentants religieux à la fin des débats sur la bioéthique.
Avant de partir vers minuit, certains invités lui ont fait dédicacer le menu.