Comme dans beaucoup d’événements, la guerre va mettre au jour l’origine d’un certain nombre de comportements. Ainsi, Freud écrit un article en 1919, intitulé : « Introduction à la psychanalyse des névroses de guerre » où il fait part de ses réflexions personnelles sur l’examen de patients relevant de traumas, causés par la présence au front. Dans les névroses traumatiques, le moi se défend contre un danger qui le menace de l’extérieur ou qui, par une modification du moi va jusqu’à prendre corps pour lui. Le moi a peur d’être endommagé, pénétré par un « corps étranger » : une balle par exemple. Mais en temps de paix, le danger est celui d’un danger intérieur qui s’infiltrerait en moi. Dès lors, le refoulement pourrait être comme une réaction à un traumatisme, pour oublier l’objet extérieur qui me cause une blessure interne, qui risque de créer un « mal blanc » ou d’être à l’image de balles non extraites qui habitent encore le corps d’anciens soldats. Tout va devenir problème d’extraction du corps étranger, le plus difficile n’étant pas forcément celui qui est matériel mais psychique. Profondément enfoui, refoulé, échappant souvent au conscient, le trauma remonte à la surface par surprise au cours d’une association qui n’a rien à voir avec l’objet de la blessure initiale.
Illustrons cela par une vignette clinique : Le mot « patiente » ne convenait pas à Agnès, elle qui manifestait une nervosité agressive et une impatience revendicative. Il est vrai que son histoire était compliquée. Père inconnu, mère alcoolique qu’il lui fallait récupérer au café du coin ou au commissariat de police du quartier, de multiples amants de passage. Agnès, par son histoire, est un trauma en elle-même ! Mais, je me doute qu’elle se sert de « traumas apparents » afin de cacher celui qu’elle ne veut pas mettre au jour, le purulent. A une fin de séance, une sirène retentit dans la rue et je dis : « c’est la police ». A mon grand étonnement, je vois Agnès qui présente soudain tous les aspects d’un malaise proche de l’évanouissement. Cependant, elle se reprend et sort. Naturellement, mes interprétations vont bon train : pour elle, la police représente le lieu que l’on fréquente autant que l’école, où l’on est connue par rapport à sa génitrice. J’attends avec anxiété la séance suivante où, contrairement à ses habitudes, elle conserve un long silence avant d’éclater en sanglots et de mettre en lumière l’ « événement » : ce soir-là, elle avait récupéré sa mère, ivre morte, dans un café où elle avait ses habitudes et l’avait ramené à la maison et mise au lit. Sa mère lui avait demandé de s’allonger près d’elle, mais peu à peu s’était livrée sur elle à des attouchements auxquels elle avait répondu. Elle me dit soudain : « Je me souviens qu’elle avait la peau lisse »…
Freud va vite prendre conscience que le trauma échappe au refoulement malgré les efforts qui sont faits et qu’une contrainte de répétition s’opère dans une série de symptômes dont l’origine reste étrangère au sujet lui-même et qui explique son malaise par des événements traumatiques qui, en fait n’en sont pas ou plus, afin de camoufler le vrai, celui qui met en route quelque chose de l’ordre d’un combat entre Eros et Thanatos. Freud va compléter sa définition du trauma en pensant qu’il est provoqué par la perforation d’une surface protectrice (pare-excitations) qui a pour visée de protéger le psychisme des agressions externes et ce, afin de maintenir son équilibre énergétique. Nous pouvons appeler traumatiques les excitations externes inattendues, assez fortes pour faire effraction dans le pare-excitation et causer une grande perturbation dans le fonctionnement organique et psychique. Bien entendu, la résistance face au trauma varie en fonction de chaque individu selon des événements qui sont dissemblables, mais toujours catastrophiques car laissant le sujet à nu, avec la sensation d’être l’objet d’un danger permanent, même si celui-ci s’écarte d’une réalité objective. Le sujet peut mettre alors en place des procédés défensifs qui peuvent être de plusieurs natures : par exemple la dépression, les troubles psycho-somatiques ou le déni par l’ « encryptement » de l’événement déclencheur mais qui en fait, continue à avoir une vie cachée et agit sur la vie psychique du sujet de manière intolérable.
Le trauma sera qualifié par Lacan, dans les années 1960 de « cet éternel retour du même ». Indirectement, le sujet ne peut s’empêcher de retourner compulsivement vers l’objet drogue qui le mène à la possibilité d’entrevoir l’état inanimé de sa matière, donc vers le mouvement de la pulsion de mort qui le conduirait vers ce qui serait la non-souffrance et le non-désir absolus. Par excellence, le trauma est un vécu de déshumanisation accompagné d’un sentiment de « menace vitale », destructrice des fondations narcissiques du sujet, alors que son intériorité psychique était relativement stable. Cela devient un événement non-métaphorisable.
Mais, le pire est toujours à venir ! En effet, au-delà du trauma individuel dramatique, va se dessiner un trauma collectif, notamment dans des tragédies collectives (guerres, massacres, persécutions religieuses ou ethniques, catastrophes naturelles). Les survivants sont souvent amenés à répéter, au-delà de leur propre génération et par le truchement de leur descendance, l’intraduisible enjeu, afin de s’approprier en vain quelque chose d’un passé collectif qui leur avait échappé. Le sujet-héritier se fait « récepteur » des maux en souffrance transmis par son ascendant survivant, au prix de son propre destin.
L’amélioration va se jouer sur ramener en mémoire les scènes douloureuses ensevelies, se remémorer « malgré soi » qui réside dans la résistance normale du sujet, à réactualiser un vécu innommable tenu à l’écart par le moi qui protège activement le psychisme du retour possible du réel. Dès lors, sur celui qui écoute et sur celui qui dit, ne peuvent que circuler la confiance et la liberté de pensée et de parole pour établir un dire vrai, loin de tout aveu de type judiciaire. Il convient de s’inscrire dans une narration habitée qui est une « reterritorialisation » du sujet qui était absent à lui-même pour « faire » quelque chose d’un passé encore trop actuel.
Par Michel BARON